La population de loups croit de manière exponentielle en France. Comment l’espèce s’est-elle dispersée sur le territoire national depuis le retour des premiers individus dans les Alpes il y a trente ans ? Un responsable de l’Office français de la biodiversité (OFB) nous raconte.
Des dizaines de pages noircies de données. Près de 5 000 signalements dans tout le pays. Des empreintes, des crottes, des cadavres, des observations visuelles… En épluchant le dernier listing réalisé par l’Office français de la biodiversité (OFB), qui recense tous les indices (supposés ou confirmés) de la présence du loup en France entre novembre 2021 et mai 2022, on mesure l’ampleur de la dispersion de l’espèce sur le territoire français. « Nous avons de plus en plus de signalements. Désormais, quasiment toute la France métropolitaine est concernée, sauf la Corse », nous confirme Nicolas Jean, directeur du service « grands prédateurs terrestres » à l’OFB.
Tous ces signalements ne sont évidemment pas retenus : une partie est rejetée, après des investigations plus poussées comme des tests ADN, certains sont notés « invérifiables » à défaut de recoupements possibles. Mais plus de la moitié sont validés (près de 1 800 sur 3 447 indices de présence pendant l’hiver 2020-2021), témoignant de la dynamique positive de l’espèce.
Trente ans après le retour officiel du loup dans les Alpes françaises – avec l’observation d’un couple dans le parc national du Mercantour en novembre 1992 – la population croit de manière exponentielle. Au début du printemps 2022, elle était estimée à 921 individus, contre 624 un an plus tôt (mais les méthodes d’estimation ont été affinées entre-temps).
« Fatalement, la population de loups augmente sur le territoire, donc le nombre d’animaux en dispersion aussi », constate Nicolas Jean. Les meutes n’étant pas extensibles, les jeunes loups partent à la conquête de nouveaux territoires, recolonisant des zones où ces animaux – éradiqués jusque dans les années 1940 – n’avaient pas été aperçus depuis plus d’un siècle.
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C’est ainsi que, progressivement, des individus ont été observés dans le Cantal (1998), les Vosges (2011), la Marne (2014), la Dordogne (2016), la Somme (2018)… Les loups ont aussi considérablement conforté leur présence dans l’ensemble des Alpes, se sont installés aux abords de Marseille, ont gagné les Pyrénées et fait la jonction avec le Massif central, se dispersant jusqu’en Haute-Vienne. Plus récemment, ils ont atteint la Normandie (la présence d’un individu a été confirmée dans le secteur de Dieppe en avril 2020), la Vendée (Jard-sur-Mer en mai 2021), la Loire-Atlantique (Saint-Brevin-les-Pins en octobre 2021). La Bretagne a suivi, avec une première observation dans le Finistère (Berrien en mai 2022), puis en Ille-et-Vilaine (Goven en novembre 2022) et dans les Côtes-d’Armor (Ploubezre en janvier 2023).
Leur présence a aussi été attestée en Charente-Maritime (Saint-Thomas-de-Conac en novembre 2022), et dans les départements voisins. Même la région parisienne n’est pas épargnée. Un individu a ainsi été vu fin 2021 dans les Yvelines (Blaru), et le 11 janvier 2023, un cadavre de loup a été découvert sur le bord de la route, non loin de la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne).
Le responsable de l’OFB insiste cependant sur le décalage entre les observations et la réalité de la présence de l’animal sur le terrain. « On peut avoir croisé le loup à une date, alors qu’il était présent depuis des mois dans le secteur sans avoir été aperçu. Et entre la date de détection et la confirmation, il peut avoir fait beaucoup de chemin. »
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De même, une « primo-détection » ne signifie pas qu’une meute est installée dans un territoire. « Depuis que le loup a été détecté dans les monts d’Arrée, il est peut-être reparti ou mort. Ce sont des animaux très mobiles », rappelle Nicolas Jean.
L’origine des individus, elle, n’est pas déterminée avec précision sur l’ensemble du territoire. « Globalement, tous les animaux recensés en France relèvent de la lignée italo-alpine, même si on ne sait pas précisément quelle trajectoire ils ont suivie. » Il existe cependant quelques exceptions. On vient par exemple d’apprendre que le loup percuté près de Fontainebleau provient de la lignée germano-polonaise. Ce n’est que le deuxième individu de cette origine officiellement répertorié en France.